Sollicitée par des dizaines de professionnels pour octroyer au cannabidiol le statut de « Nouvel Aliment », l’EFSA a suspendu le processus d’évaluation pour « manque de données » sur les éventuels effets secondaires de la molécule. Retour sur un véritable camouflet pour la filière française du CBD.
Le CBD, un « Nouvel Aliment » ? L’EFSA dit « non »
Depuis la décision historique en 2019 de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) en faveur de la légalisation du cannabidiol au nom de la libre circulation des marchandises, l’Autorité européenne pour la sécurité des aliments (EFSA) a reçu des dizaines de demandes pour octroyer le statut de « Nouvel Aliment » au CBD.
Tous les signaux convergeaient vers une procédure expéditive, une simple formalité, au regard des positions des différents acteurs de la santé, en France comme à l’échelle mondiale :
- Pour le comité d’experts de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le CBD « ne semble pas présenter de risque d’abus ou de nocivité pour la santé » ;
- Pour le Conseil d’Etat, le CBD à moins de 0,2 % de THC n’est ni psychotrope, ni addictif ;
- De nombreuses études ont mis en avant le potentiel thérapeutique du CBD dans un large spectre de troubles, de symptômes et de pathologies (épilepsie, sommeil, soulagement de la douleur, du stress et de l’anxiété, raideurs musculaires et articulaires, etc.). En 2018, le professeur Orrin Devinsky a publié des travaux de référence sur l’apport du CBD dans la baisse de la fréquence et de l’intensité des crises épileptiques chez les enfants (voir ici) ;
- Constatant les résultats prometteurs des travaux de la communauté scientifique, le ministère de la Santé et des Solidarités a lancé une grande expérimentation pour évaluer le potentiel thérapeutique du CBD dans plusieurs indications définies par l’Agence Nationale pour la Sécurité du Médicament et des Produits de Santé (ANSM), notamment la douleur et les symptômes rebelles en oncologie, les épilepsies réfractaires aux traitements disponibles, la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques, les soins palliatifs, etc. ;
- Dans le commerce, le CBD est désormais proposé en magasin physique et en boutique en ligne, en parapharmacie mais aussi et surtout en grande surface de distribution depuis début 2022.
Malgré ce macroenvironnement favorable, l’EFSA a suspendu le processus d’évaluation du CBD en vue de l’attribution du statut de « Nouvel Aliment ».
Pourquoi est-ce un véritable camouflet pour la profession ?
Pour bien mesurer la portée de cette décision, il faut revenir à l’histoire juridique récente du cannabidiol dans l’Hexagone. Avant la décision de la CJUE en 2019, le marché était embryonnaire à cause du flou juridique. La décision de la CJUE dans l’affaire « Kanavape » a encouragé les porteurs de projets et les investisseurs à se lancer.
Cette dynamique s’est traduite par une explosion de l’offre et de la demande. Selon les chiffres de l’Interprofession des métiers du chanvre (Interchanvre), la filière française serait aujourd’hui portée par 7 millions de consommateurs, soit environ 12 % de la population. Selon les données du journal Les Echos, le nombre de magasins proposant des produits de CBD est passé de 400 à 2020 à environ 3 500 en 2022… un bond de 900 % ! L’offre est également portée par des boutiques en ligne comme Pro 4 You CBD et les grandes surfaces.
Ces performances sont d’autant plus impressionnantes que le marché français du CBD doit composer avec une incertitude juridique latente. En effet, un arrêté ministériel publié le 30 décembre 2021 a tout simplement interdit la vente de feuilles et fleurs de CBD pur… des produits qui génèrent jusqu’à 60 % du chiffre d’affaires global de la filière. Trois semaines plus tard, le Conseil d’Etat a prononcé la suspension temporaire de cette interdiction, la qualifiant de « disproportionnée » au regard des éléments à la disposition du juge des référés. Si les feuilles et fleurs de CBD pur sont aujourd’hui autorisées en France, leur sort reste suspendu à la décision finale du Conseil d’Etat.
Cette incertitude juridique bride la visibilité des professionnels qui doivent mettre en suspens leurs projets d’investissement en attendant des garanties de l’Etat. De leur côté, les banques rechignent à financer des projets en lien avec le CBD, une substance pourtant légale et autorisée dans l’UE. Si l’EFSA avait accordé le statut de « Nouvel Aliment » au cannabidiol, sa légalisation définitive aurait sans doute été actée, dans la mesure où les denrées estampillées par l’autorité sont quasiment impossibles à interdire au nom de la libre circulation des marchandises, un principe phare de l’Union Européenne.
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